Robe rouge très près du corps. Talons aiguilles noires vernis. Rouge à lèvres carmin. Cheveux tirés en chignon. Faux cils. J’étais fin prête pour ma chasse aux sorcières. Ou plutôt mon rendez-vous avec un vampire. Je récupérais ma pochette noire et partait direction Abbeyglen Castle Hotel. Heureusement pour moi, John avait gardé une ancienne porsche qui donnerait plus de cachet à tout mon attirail. Arrivée à l’hôtel, je demandais Mstislav Petrov. « Qui le demande ? » J’observais les alentours. Personne que je ne connaissais déjà. « Ielena Kuznetsov. » Pour cette soirée je serais russe. Et call girl de surcroit. Je ne savais pas pour quelle raison exactement, mais ce vampire avait demandé les services que seule une femme pouvait lui donner. J’étais intimement persuadée qu’il allait tuer ce soir, et je devais m’en assurer. On me demanda de m’assoir, ce que je fis sans broncher. Les talons me faisaient un mal de chien et les cheveux tirés me donnaient mal à la tête. Je n’attendais qu’une chose, que tout ça se termine. Barry m’avait accordé une journée de repos. Il se doutait surement que mon excuse douloureuse des problèmes menstruels était fausse, mais peu importe. Il me faisait assez confiance pour ça. « Mademoiselle ? » Je relevais la tête de mon minuscule sac à l’intérieur duquel était dissimulée ma dague en argent. Je l’avais soigneusement enroulée dans un tissu imbibé d’eau bénite. « Oui ? » demandais-je avec un accent russe très mal copié. Je n’étais pas très douée pour reprendre des accents dans ma propre langue. Quand il s’agissait de parler russe, c’était une autre histoire. « Vous pourrez rejoindre Monsieur Petrov dans environ dix minutes. » Je regardais par les larges fenêtres du hall qui laissaient encore passer les rayons du soleil. Je hochais la tête en guise de réponse. Dix minutes seulement ? Je ne savais pas si le coup était bien calculé, mais une chose était certaine, j’avais mal calculé le mien. Je regardais se dessiner une silhouette plus que familière à mesure qu’elle avançait dans l’hôtel. Que faisait-elle ici ? Je m’asseyais de biais pour ne pas me faire trop voir, mais avec une robe comme celle que je portais, c’était peine perdu. J’espère qu’elle ne me reconnaisse pas. Ma respiration s’accélérait et je commençais à paniquer. Je détestais me retrouver face à elle. Entrevoir dans son regard tout ce que je lui ai fait perdre était trop dur pour moi. Pourtant nous n’étions plus ensemble, mais la rancœur, la perte d’un être qu’on a tant aimé par la faute d’une autre qui se trouvait être moi ne s’effaçait pas du jour au lendemain. Je ne savais pas qu’elle existait. Je ne savais pas qui elle était. Jusqu’à ce que tout devienne plus sérieux et qu’il m’avoue ses sentiments et sa situation. Je n’avais pas accepté d’être cette femme là, et pourtant aujourd’hui encore je revêtais ce même costume. Je regardais ma montre en or blanc pensant que les dix minutes étaient passées et que je pourrais m’éclipser, mais malheureusement, cela ne faisait même pas deux minutes que j’avais été prévenue. Je décidais de me lever pour rejoindre le bar et être à peu près tranquille, mais je me trompais. Encore une fois. Elle m‘avait vu. « Rory ! Qu’est-ce que tu fais là ? » Lui demandais-je avec un large sourire.

Son sourire était si doux à voir que j’en avais mal au cœur. M’en voulait-elle pour ce que j’avais su trop tard ? Le temps avait passé sans que je m’aperçoive de la bague qu’il retirait chaque fois qu’il me voyait. J’étais trop pressée et heureuse de le retrouver. Tout s’était passé trop vite. En deux secondes seulement tout avait basculé. J’avais appris. Par erreur. Il était fiancé, et j’étais la cinquième roue du carrosse. Comment avait-il pu me mentir ? Comment avait-il pu lui faire ça ? Je le détestais, mais l’aimais tellement. Tout ce qui importait était nous. J’avais fait abstraction. Pour lui. Pour son amour. Pour moi. Je n’avais jamais pensé à elle. Jusqu’à ce que je la vois. Elle était radieuse. Magnifique. Et pourtant je n’arrivais pas à me décider sur ce que je ressentais pour elle. De la pitié. De l’amitié faussée peut-être. Une once de rancœur. De la honte. Elle était au courant. Je n’avais plus aucun droit lorsqu’elle était dans les parages. J’étais la maitresse. Celle que l’on blâme. Celle par qui toute une vie s’écroule. Je n’étais qu’un morceau de viande pour une créature qui m’attendait là-haut.

« Oh... Je passais juste voir un ami. » Je hochais la tête en signe de réponse. Je n’avais rien à lui dire. J’examinais simplement sa silhouette. J’espérais que son ami ne soit pas lui. L’avait-il seulement revu depuis son retour à Clifden ? Je me détestais tellement pour cette histoire. Les pensées m’envahissaient. Le silence se faisait. Nous étions gênées. Pourtant nous ne bougions pas de notre position. Les secondes s’écoulaient et je me demandais si le temps allait venir. Si seulement elle n’était pas venue. Mes mains devenaient moites. Et si les choses tournaient mal et qu’elle se retrouvait en première ligne. Si elle devenait la victime de mon complot. La voir mourir dans les bras d’un vampire. La sentir frémir. L’entendre pleurer. Hurler. Un rictus se dessinait sur mon visage. Je me laissais emportée par des idées ridicules. Mais elles me plaisaient. Je n’aurais plus à lui faire face. Egoïsme. Je me ravisais lorsqu’elle posa l’ultime question.

« Et toi ? Tu as rendez-vous ? C'est pas tous les jours qu'on te voit en robe, dis moi ! Un nouvel homme dans ta vie ? Dis moi tout. » Que devais-je répondre à ça ? Son regard ne trahissait rien. Pourtant je ne pouvais m’empêcher de penser qu’elle nous imagine encore. « Un rendez-vous en effet. C’est par rapport à mon père. » J’inspirais un grand coup. « Pas de nouvel homme. » Ajoutais-je en souriant. Il me manquait. Je ne pouvais pas le nier. Mais je n’arrivais plus à lui faire face. Pas après les coups qu’il avait pu me donner. Pourquoi je n’avais rien fait ? Menadel. Encore et toujours lui. S’il pouvait m’aider au lieu de me faire souffrir. Mais j’y étais trop attaché. Un jour peut-être deviendrait-il moi. J’oubliais tout en regardant le visage de Rory.

« Mademoiselle Kuznetsov ? » La voix du réceptionniste me fit frémir. Je dévisageais ma compagne alors qu’il attendait patiemment que je daigne lui répondre. « Hm … Oui ? » Demandais-je les joues aussi rouges que ma robe. « Monsieur Petrov vous attends. » Simple signe de tête. Je le remerciais d’un billet directement plongé dans sa main. Je me raclais la gorge et revenais à elle. M’en tiendrait-elle rigueur ? Je n’en avais aucune idée. Mais après tout, elle n’était pas censé connaitre mon passé. Je pourrais certainement lui raconter ce que je voulais bien lui faire croire. J’espérais simplement qu’elle reste bon public et n’en cherche pas plus.