L’adolescent rentrait tout juste de cours. Son sac sur le dos il montait dans sa chambre, le jetait sur son lit et redescendait tout aussi rapidement. Ses parents n’étaient pas encore rentrés de leurs boulots respectifs alors il en profitait pour passer un peu de temps devant la télévision. S’improvisant un sandwich, il revenait dans le salon alors qu’une émission venait de commencer. S’il avait des devoirs ? Bien sûr, il n’avait juste pas l’intention de les faires, les études, ce n’était pas vraiment son truc et à vrai dire, ça lui passait même au dessus. Toutefois, l’adolescent était loin de s’imaginer que sa vie changerait ce soir là, que ses parents avaient pris une décision pour lui, préférant le voir réussir dans un domaine plutôt que de le laisser perdre son temps à des cours qui ne l’intéressait nullement. A dix huit heures tapantes, les Donovan rentraient, peu surpris de trouver leur fils assit dans le canapé à regarder des choses peu évoluées. Un soupir franchissait le seuil des lèvres de sa mère alors que celle-ci s’éclipsait dans la cuisine pour boire un verre d’eau. Le Père, lui, retirait sa veste et se mettait à observer son fils du coin de l’œil, ça ne pouvait plus durer.

« Tu veux bien arrêter cette télévision s’il te plaît. ». Le volume était si fort qu’il lui en donnait une migraine, chose dont le Père Donovan avait une sainte horreur, et après une journée de travail bien remplie, il préférait de loin être au calme. Qui plus est, il savait que parler à son fils de l’éventualité d’un départ n’allait pas être une mince affaire. L’adolescent baissait le son et lâchait un soupir. « Kieran. ». A ces mots et vu le ton employé, celui-ci ne se fit pas prier, il se levait rapidement de son canapé douillet et fonçait appuyer sur le bouton, la télévision devint noire en deux secondes chrono. Son père lui faisait signe de le suivre jusque dans la cuisine et il s’exécutait sans broncher, s’asseyant sur l’une des chaises qui traînait là. Si sa mère lui tournait le dos, son père, lui, venait s’asseoir en face de lui, les bras croisés sur la table, le scrutant d’un air convaincu. Il attendit que sa femme vienne s’asseoir à ses côtés pour pouvoir parler du problème. Apercevant leurs regards, Kieran se sentait épié de toute part, comme s’il avait fait une énorme connerie et qu’il allait passer un sale quart d’heure. « Quoi ? ». Le silence qui les englobait était pesant pour le jeune garçon qui voulait comprendre le pourquoi de cette mascarade. Ce fut finalement sa mère qui prit la parole. « Nous savons pour tes résultats scolaires… Et nous avons trouvé une alternative à ton désintérêt pour l’école. ». L’adolescent écoutait attentivement, les sourcils se fronçant, il attendait la fameuse alternative. Son père continua sur la lancée. « Puisque les cours ne semblent pas être faits pour toi, tu t’engageras dans l’armée, tu feras quelque chose de bien, et tu réussiras dans ce domaine, ça demande davantage de physique que de mental. Non pas que tu sois stupide, au contraire, mais te défouler sera peut être mieux que de rester assis à longueur de journée à dessiner sur les tables. Tu feras quelque chose de ta vie Kieran, c'est une opportunité en or et je ne te laisse pas le choix. Tu ne nous l'as pas laissé. ». Kieran regardait ses parents, les yeux ronds. L’armée ? Qu’est ce que c’était que cette idée saugrenue ? Il se voyait mal obéir aux ordres d’un tondu ou même d’un officier qui ne laissait rien passer. Si le jeune garçon restait muet, son père avait été très clair, il ne pouvait pas négocier. Ses parents lui laissèrent quelques jours pour se faire à l’idée, il avait remué toutes les solutions possibles pour éviter l’armée mais il n’en avait trouvé aucune d’assez convaincante alors il avait finalement accepté. Quelques jours après la signature il était envoyé dans une base militaire pour suivre sa « formation ». Au début, Kieran eut un peu de mal à se faire à l’ambiance, mais plus les jours passaient et plus il finissait par s’y plaire, acceptant mieux que quiconque les missions et les objectifs lancés par ses supérieurs. S’il avait cru qu’un jour il se plairait dans un milieu comme celui-ci il aurait neigé pendant une année. Il apprit rapidement à devenir indépendant et autonome, sa petite vie lui plaisait ainsi. Allant de missions en missions, tout se déroulait pour le mieux malgré l’endurance et les efforts à mener. Ce qui le faisait tenir ? L’idée de retourner à Clifden un jour et de revoir ses parents, il attendait cette permission avec impatience, leur envoyant une lettre dès que possible. Il ne les revit qu’à l’âge de vingt-cinq ans.

***

La voiture se garait devant la maison des Donovan sans un bruit, il ne voulait pas gâcher l’effet de surprise. Laissant son sac contenant ses affaires à l’intérieur, il ouvrait la portière et posait un pied au sol. Sol qu’il n’avait pas foulé depuis un peu plus neuf ans. Habillé de son éternel treillis qu’il ne quittait plus depuis l’âge de seize ans, Kieran venait se poster timidement devant la porte, frappant contre celle-ci comme s’il n’était qu’un simple visiteur. Au fond, c’était bien ce qu’il était non ? La boule au ventre et impatient à l’idée de les revoir, le jeune homme attendait sagement que l’un de ses parents ne se décide à ouvrir la porte. Lorsque ce fut finalement le cas, il vit la surprise dans les yeux de sa mère qui ne l’attendait que le lendemain. Une main plaquée contre ses lèvres, elle venait prendre son fils dans ses bras, il avait tant changé à ses yeux et elle était si fière de lui. Kieran serrait sa mère dans ses bras, logeant sa tête dans le creux de son coup comme il l’avait toujours fait quand il était plus jeune, des larmes perlaient à ses cils alors qu’il relevait finalement la tête pour voir la silhouette de son père s’avancer vers lui. Sa femme laissait leur fils rentrer et c’était à son tour de le serrer contre lui. A ce moment là, ils étaient des parents heureux et incroyablement fiers de leur progéniture. Si autrefois il avait été assez difficile à vivre, aujourd’hui il était en quelques sortes devenu le héros de la famille. Ce jour là, il leur racontait tout ce qu’il avait vécu depuis, de l’organisation des missions à ses quartiers, en passant par les entraînements assez rudes. Une fois la nuit tombée, il s’éclipsait retrouver quelques amis d’antan mais fut interrompu par une rencontre pour la moins inattendue. Ce soir là, alors qu’il rentrait tout juste au pays, il rencontrait Rory, une jeune femme tout à fait charmante qui lui plut dès le premier coup d’œil. Ce soir là, Kieran n’alla pas rejoindre ses amis, préférant faire la connaissance de cette fille aussi intrigante qu’attirante. Personne n’aurait pu prédire que les deux là seraient tombés amoureux en moins de temps qu’il ne fallait pour le dire – surtout du côté de Kieran bien sûr.

Plus les journées passaient et plus le jeune soldat s’entichait d’elle, se voyant déjà faire sa vie à ses côtés, alternant ainsi boulot et vie de famille. Deux ans plus tard, figurez vous qu’ils étaient toujours ensemble, et ce, malgré quelques mésaventures dans le parcours. Mais c’était sans compter la détermination de Kieran à l’idée de la faire devenir sa femme. Ainsi, il la demandait en mariage, officialisant par la même occasion leurs fiançailles auprès de ses parents et de son entourage, complètement loin de se douter de la véritable nature de Rory ou encore du destin qui allait finalement leur jouer un mauvais tour à tous les deux. Quelques jours à peine après l’annonce de leurs fiançailles, Kieran fut rappelé par l’armée pour une mission qui devait se dérouler plus loin que d’habitude. N’ayant pas le choix, il laissait là sa fiancée et ses parents, reprenant ses affaires et partant à l’aventure. Aventure dont il allait mettre du temps à se remettre et qui changerait sa vie à jamais.

Une mission. Il était censé la remplir correctement mais il ne put aller au bout. Tout était allé très vite, une simple mine avait fait toute la différence ce jour là. Alors qu’ils allaient à l’endroit où ils étaient supposés être, leur camion roula sur un objet qui n’aurait pas dû être là. Au moment où la roue passait dessus, le mécanisme se déclenchait, heureusement – ou malheureusement- pour eux, cela provoquait plus un souffle puissant qu’autre chose, ce qui fit basculer le camion sur le côté balayant par la même occasion les militaires se trouvant à l’intérieur. Kieran n’y échappa pas, se retrouvant projeté comme la plupart de ses camarades à l’extérieur avec les lourds débris de la carcasse restante du véhicule. Sonné par le coup qu’il venait de recevoir, le jeune homme ne se réveillait qu’une bonne vingtaine de minutes plus tard. Sa première réaction fut de bouger mais il ne put se dégager. Sa jambe restait inlassablement coincée sous un des débris de ce qui ressemblait quelques instants plus tôt à un camion militaire. La main tremblante et perturbé par une douleur lancinante, il essayait tant bien que mal de se rendre compte des dégâts, il passait sa main sous le débris, grimaçant et hurlant de douleur, puis lorsqu’il eut finalement retiré cette fameuse main, celle-ci était couverte de sang. Le sien. La panique au bord des lèvres il fut soulagé de voir que certains de ses camarades étaient bels et bien en vie et presque en pleine forme. Ceux-ci s’attelaient déjà à la tâche. Kieran ne put savoir quand il fut finalement dégagé de là, se vidant de son sang il avait perdu connaissance avant de voir ses amis déplacer le débris.

Le jeune homme rouvrait les yeux, quelques heures plus tard alors qu’on l’emmenait au bloc pour la seconde fois. La douleur était toujours là, persistante, lui arrachant des grognements alors qu’il tentait de comprendre dans quel endroit il se trouvait. Les néons blancs écarlates défilaient à une vitesse incroyable au dessus de lui, l’obligeant à plisser les yeux pour ne pas être trop ébloui. De vagues paroles en provenance d’une infirmière étaient censées le réconforter et le rassurer, mais ça ne marchait pas, alors il priait. Intérieurement. Il priait pour s’en sortir, se souvenant de son sang sur sa main ou encore de l’explosion. Il n’eut pas le temps de dire quoi que ce soit qu’il sombrait à nouveau dans le sommeil. Tout n’était déjà que flashs lui faisant se demander si c’était la réalité ou non. Kieran ne retrouva conscience que dans la nuit. Cette nuit là fut la plus longue de toute alors qu’il vacillait seul entre angoisse, incertitudes et douleur malgré la puissance des analgésiques. Pire encore lorsqu’on lui expliqua que s’il était resté là bas quelques minutes plus tard, il aurait perdu définitivement l’usage de sa jambe. Malgré cet incident, il dû vivre avec cette nouvelle qui l’avait laissé sans voix. Il n’avait pas perdu sa jambe mais il n’avait pas fini de souffrir. Cet accident signa l’arrêt de sa carrière militaire, sans possibilité de reprendre plus tard. Cet incident ne laissait pas uniquement des marques physiques, son moral en avait prit un coup et personne ne s’en rendait compte jusqu’à lors. Il fut finalement rapatrié à l’hôpital le plus proche de Clifden pour pouvoir avoir du soutien de sa famille. Au début, il refusait qu’ils le voient de la sorte, mais il dû admettre qu’il avait besoin de les voir, ses parents comme sa fiancée.

Les semaines passèrent et il atterrit finalement dans la section prévue pour la rééducation. Rory était toujours à ses côtés et il savait qu’il ne la remercierait jamais assez pour ça. A ce moment là, il fit la rencontre d’une jeune femme : Linden, qui se trouvait dans l’hôpital. Kieran était de retour à Clifden et même s’il passait le plus clair de son temps entre la rééducation et son lit d’hôpital, c’était bénéfique pour lui. Linden et lui sympathisèrent plus vite que ce qu’il n’aurait cru, et malheureusement pour Rory, Kieran tombait sous le charme de la jolie blonde. Pendant tout ce temps passé ensemble, il semblerait que les deux aient développés des sentiments l’un pour l’autre, une certaine relation était même née. Apprendre qu’il était fiancé ne désengagea pas Linden, bien au contraire… Leur relation s’est vue s’accroître pour devenir finalement plus fort que l’amour qu’il pouvait ressentir pour sa fiancée. Cependant, tout bascula une nouvelle fois pour lui. Six mois après le début de ses séances de rééducation et malgré la difficulté de celles-ci, Kieran devint plus colérique et violent. Un rien le faisait rentrer dans une colère noire, lui-même ne se l’expliquait pas, c’était apparu comme ça, il n’avait rien vu venir. Tout ce qu’il savait, c’était que ça s’était déclenché au moment même où il commençait à baisser les bras, ses séances se faisaient plus dur, et la douleur insupportable malgré les efforts qu’il faisait. Epuisé, il avait fini par perdre pied et un jour comme les autres, il s’énerva contre Linden, la frappant par la même occasion. Si le jeune homme s’en était voulu dès la seconde où sa main avait heurté son visage, leur relation était compromise aux yeux de la jeune femme. Désemparé, Kieran se replia davantage sur lui-même, au grand damne de ses parents qui ne savaient plus quoi faire. Venait alors l’avis d’un médecin, tout ceci n’était dû qu’à une seule chose : l’accident. Ce n’était que le traumatisme qui apparaissait seulement maintenant. Kieran fut donc envoyé dans un hôpital spécialisé, chose qu’il n’avait pas accepté facilement, prit de colère et d’angoisse, il en avait fait voir de toutes les couleurs à ceux qui avaient voulus l’emmener là bas. N’ayant pas d’autres choix, il dû accepter d’être pris en charge, il continuait sa rééducation mais était également suivi sur le plan psychologique. Pour lui sa vie s’était effondrée en moins d’un an, mais ça ne s’arrêtait pas là. Un évènement se produit à l’hôpital. C’était peut être une bénédiction au fond, ou non. Le jeune homme perdit la mémoire du jour au lendemain, se rappelant uniquement de son nom, de ses parents et de son nom à Elle : Linden.

A l’heure actuelle, cela fait maintenant trois mois que Kieran est de retour à Clifden. S’il se souvient avoir été fiancé, c’est uniquement grâce à des informations qu’on lui a donné. Rory demeure une inconnue pour lui alors que de l’autre côté, il se rappelle très bien de Linden, du moins, son nom, son visage. Il la cherche. Les bizarreries qui se produisent au sein de la ville ne l’atteignent pas plus que ça, tout ce qu’il cherche, c’est se souvenir de sa vie, comprendre pourquoi il est soudainement devenu amnésique et à quoi sont censées servir les armes qui se trouvent dans son garage. Kieran habite dans une petite maison assez isolée et même s’il devrait craindre le surnaturel, la seule chose qu’il craint plus que tout, c’est son passé. Toutefois, cette amnésie semble être un nouveau départ pour le jeune homme qui s’est visiblement remit de son accident. S’il remarche aujourd’hui, les cicatrices, elles, sont toujours là, le perturbant davantage.

... AND GOT BACK UP AGAIN.