• CARACTERE ϟ L’homme est vil, inconstant, faux, perfide, vaniteux. Musset qualifiait l’union de deux être si imparfaits de sublime et sainte. Pour moi, c’est une tragédie permettant d’engendrer davantage de ces créatures faibles et misérables. Je n’aime pas les hommes. Les amoureux de l’humanité, emplis d’un espoir vain, d’un optimisme naïf, d’une combativité admirable, me font doucement sourire. Le terme misanthrope a été mainte fois utilisé pour me désigner, et à vrai dire il est le plus pertinent. Mais Alceste avait au moins sa Célimène. Je n’aime pas davantage ceux que les chasseurs nomment « les monstres » –et dont je fais partie-. Ils oublient qu’ils ont été des hommes pour la plupart, qu’ils en sont toujours parfois. Ceux-là ont cependant le mérite de vivre selon leurs instincts premiers, leurs pulsions, ce qui est bien plus remarquable que de jouer sans cesse une immonde comédie. C’est également, néanmoins, ce qui les affaiblit. Nous affaiblit. Cet appétit incontrôlable qui nous pousse à convoiter l’interdit, à désirer l’écœurant. L’indifférence me touche pour chacun d’entre eux. Je comprends la défaillance des humains et des « créatures », ce qui en fait leur médiocrité est à la fois le meilleur et le pire. Rester à l’écart de ce conflit inutile est bien la position la plus judicieuse. Aucun d’entre eux, selon moi, ne parviendra à perturber l’équilibre qui perdure. Si je me suis intéressé à la destruction de goules affamées, c’était par simple égard envers la pureté et l’innocence des enfants qui les approchaient. Les enfants ne méritent pas l’éviscération. Pourtant, un jour, ils représenteront tout ce que je déteste. Finalement, peut-être bien que moi aussi : j’espère.
Cet état d’esprit est sans doute la raison pour laquelle je travaille avec les macchabés. Ils sont silencieux. Paisibles. Je les touche sans craindre une morsure. Leur parle sans attendre de réponse. Les respecte sans jamais être déçu. J’estime davantage un homme après sa mort que pendant sa vie. Je me mêle à la société, bien sûr, j’en trompe la plupart car en tant qu’homme, je suis aussi un acteur exemplaire. Je salue, toujours. Je dialogue, parfois. Je souris, rarement. Et dans une ville si peu peuplée, impossible de baisser les yeux sans être arrêté par un voisin, un commerçant, une relation. Je me prends au jeu quelques fois. Je laisse certains s’accrocher à cette image de l’adolescent comblé et farceur que je véhiculais. Le môme constamment pendu au bras de l’un des membres de sa « tribu », un sourire béat déformant ses lèvres. Le sourire de l’innocent que l’existence a épargné. Pas assez longtemps. Les traces d’un fantôme que je regrette parfois. Car mon détachement blesse, ma froideur éloigne. Et le dédain me fatigue.